Avant cette époque les Anglo-Saxons ne l'employaient guère qu'à la chasse et préféraient pour le combat la hache, l'épée, la lance ou la masse : ce furent les armes principales dont ils se servirent contre les conquérants, à la bataille d'Hastings (1066).
Dans cette mémorable journée, les archers normands de l'armée de Guillaume étaient au contraire nombreux : ce furent eux qui engagèrent l'action. Leurs arcs n'avaient pas plus de 1 m. 50 de longueur; à leur ceinture ou à leur cou étaient attachés le carquois qu'on nommait couire[2] et l'étui de l'arc appelé archais[3].
Tout d'abord, les Anglo-Saxons retranchés derrière des palis-sades, ou couverts par leurs grands boucliers, ne sont pas atteints par les flèches que les Normands leur envoyent de but en blanc; mais bientôt ceux-ci, changeant leur tir, parviennent à lancer leurs traits en l'air avec assez d'adresse pour qu'ils retombent sur l'ennemi derrière ses abris et, comme le dit Robert Wace dans son célèbre Roman de Rou:
Quant li saétes revenaient,
Desoz les testes los chaieient,
Chiés et viaires los percoent,
Et à plusors les oils crevoent :
Ne n'osoent les oils ovrir
Ne lor viaires descovrir.[4]
Par suite de la conquête, la race saxonne arrive à se fondre peu à peu dans la race normande; dès lors, l'arc prend dans l'armement des Anglais une place qu'il n'occupe ni ne conserve chez aucune autre nation de l'Europe.
Au XIe siècle, en effet, l'arbalète perfectionnée est apparue. Reconnue comme trop meurtrière, elle est interdite, en 1139, par le Concile de Latran soucieux d'éteindre les guerres entre nations chrétiennes, et son emploi n'est autorisé que pour combattre les infidèles.
L'Espagne, qui lutte désespérément contre l'invasion des Maures, prêche bientôt d'exemple : elle a abandonné l'arc, depuis quelque temps déjà, et commence à se distinguer par le soin qu'elle apporte à la fabrication de l'arme nouvelle.
Beaucoup d'autres nations la suivent dans cette voie.
L'arbalète avait d'ailleurs fait ses preuves dans la première croisade (1087).
On ne peut douter, en effet, que ce ne soient de traits envoyés par l'arbalète dont veut parler Anne Comnène, fille de l'empe-reur Alexis Ier, lorsqu'elle rapporte que les flèches des Croisés « perçaient les meilleures armes défensives et s'enfonçaient tout entières dans les murailles des villes contre lesquelles on les tirait »[5].
L'opinion que de tels effets ne pouvaient être produits par des arcs ordinaires paraît confirmée, d'ailleurs, par Anne Comnène elle-même qui ajoute que les croisés « tendaient ces arcs avec leurs pieds » ; or c'était bien de cette façon qu'on tendait l'arba-lète au début de son invention.