Nous avons parlé à plusieurs reprises des privilèges accordés aux compagnies d'arc ; il est temps de dire en quoi ils consistaient.
En général, outre la prérogative d'assister en corps à toutes les cérémonies publiques, d'avoir le pas sur les autres corporations, de garder le roi et les princes souverains à leur passage ou pendant leur séjour dans la ville et d'avoir l'honneur de servir à leur table dans certaines circonstances[36], les archers étaient exempts de toutes les tailles, aides, service de guet, logement des gens de guerre, enfin de presque toutes les charges qui pesaient sur les autres habitants de la localité; souvent ces derniers privilèges étaient reversibles sur leurs veuves.
Dans l'origine ils s'étendaient à tous les membres des compagnies en échange des services que celles-ci pouvaient être appelées à rendre à l'intérieur de leur ville ou sur les champs de bataille, mais ils furent restreints aux Francs-Archers lorsque ces derniers — recrutés ordinairement dans ces compagnies — furent créés.
A leur disparition, et dès que l'utilité des corporations armées ne se fit plus sentir, on ne conserva de privilèges qu'au Roi et à l'Empereur de chaque compagnie.
Les archers furent naturellement sacrifiés les premiers. Ceux de Crépy-en-Valois qui étaient parvenus à jouir de tous leurs anciens droits jusqu'en 1625, les virent réduits, malgré leurs réclamations, à la seule personne de leur roi, par un arrêt s'appuyant sur ce que « l'arc ne servait plus à la guerre et qu'il ne résultait de l'exercice de cette arme aucune utilité pour le service de la patrie ».
Il y eut toutefois des exceptions ; celle faite par exemple en faveur des « Grands Archers de Doullens » dont la Compagnie, jusqu'à la fin du siècle dernier, put jouir de prérogatives particulières; entre autres celle de toucher 27 livres 4 sols de gages chaque année.
On ne saurait dire d'ailleurs qu'il y eût une règle générale à ce sujet, car dans chaque localité la nature des exemptions dont jouissaient les archers variait suivant l'ancienneté et l'importance des services qu'ils avaient rendus dans le passé, autrement dit suivant leurs droits acquis et aussi, on doit le reconnaître, suivant le bon vouloir des autres habitants. Il ne faut pas oublier en effet que, la plupart du temps, ces derniers voyaient s'accroître leurs charges en raison directe des exemptions dont jouissaient les compagnies, et lorsque celles-ci étaient au nombre de deux ou trois, dans une même ville, il en résultait un surcroit d'impôts qui retombait lourdement sur le reste de la population.
Ce qui pouvait compenser les inconvénients de cette inégalité, souvent reprochée aux corporations, était l'enrichissement du commerce des villes au moment des fêtes occasionnées par les concours de tir.
Rien de ce qui se passe, de nos jours, dans nos villes de province, en quelque circonstance que ce soit, ne peut donner une une idée de ce qu'était alors le branle-bas produit par une solennité de ce genre. La difficulté des communications obligeait les voyageurs à faire séjour dans la ville pendant toute la durée du concours, car les compagnies, autrefois plus nombreuses qu'aujourd'hui et qui se composaient chacune de 5o, 80, 100 et même 150 tireurs, arrivaient souvent de localités fort éloignées.
Elles faisaient la route à petites journées, soit à pied, soit en bateau, lorsque les circonstances s'y prêtaient comme il arriva pour une compagnie de Mantes qui vint, en juillet I6I5, tirer à Creil et remonta l'Oise jusqu'à Beaumont; soit à cheval comme les confrères de Bruges qui se rendirent à Gand avec plus de 216 chevaux en l'année 1497, et ceux de Lille, au nombre de 80 « tous montés sur de beaux chevaux de Flandre et suivis de cinq ou six chariots de bagages » qui firent leur entrée à Bruges en 1549 pour venir tirer un prix.
On conçoit qu'en plus des membres de la Compagnie il y eût une grande affluence de curieux accourus de toutes parts.
L'insuffisance des auberges nécessitait que les uns et les autres logeassent chez l'habitant. Banquets, bals et réjouissances de toutes sortes se succédaient pendant plusieurs jours.
Le gouverneur de la province, le corps de la ville, et en général tous les personnages de marque, présidaient ou assistaient à la plupart des cérémonies.
Le premier jour, avait lieu la réception des Compagnies à la porte principale de la ville. Chacune d'elles arrivait précédée de ses officiers et de sa musique et était reçue, au son de l'artillerie et suivant un cérémonial convenu, par la Compagnie de la ville qui donnait le prix.
Lorsque toutes étaient réunies sur la place principale elles se rendaient, tambour battant et enseignes déployées, à la cérémonie religieuse qui consistait en une messe solennelle.
Le personnage le plus important marchait en tête du cortège ayant, à sa droite, le roi et, à sa gauche, le capitaine du jeu de la ville.
Après la messe, chacun se retirait au logement qui lui était assigné après, toutefois, qu'un tirage au sort, auquel il était procédé devant les représentants de toutes les Compagnies, eût déterminé dans quel ordre celles-ci devaient se rendre à la parade ou la montre qui avait lieu dans la journée et se terminait par une marche à travers toutes les principales rues.
Les prix étaient placés sur des brancards richement ornés, portés à épaules d'hommes. Les troupes formant la garnison de la ville étaient souvent autorisées à escorter le cortège pour en rehausser l'éclat.
Enfin, on se rendait solennellement aux buttes où le personnage le plus haut placé avait l'honneur d'ouvrir le jeu en tirant le premier coup, et la journée s'achevait par un grand festin où rien n'était négligé pour satisfaire les convives.