Ces derniers, jusqu'à un certain point, pouvaient se croire, à bon droit, investis du rôle de protecteurs des compagnies d'arc, par le fait qu'ils étaient détenteurs des reliques de « M. Saint Sébastien vray martyr et amy de Dieu auquel la très angoisseuse mort qu'il souffrit ayant été detrait par tout son corps de sayettes[31] » avait valu d'être choisi comme patron de tous les archers.
En tout cas, les auteurs que nous venons de citer ont perdu de vue que les compagnies d'arc n'étaient plus, au moment où ces prétentions se manifestèrent, que des sociétés d'amusement sans utilité pratique et n'ayant conservé de leur caractère passé que le côté purement moral. Les arquebusiers recrutés parmi les bourgeois étaient venus leur faire une terrible concurrence et tendaient à accaparer à leur profit les faveurs royales ; aussi, sans protecteurs, les compagnies d'archers, qui ne se composaient plus que d'artisans et de manouvriers, diminuaient-elles avec rapidité en France et elles eussent toutes peut-être infailliblement disparu sans que personne se fût apitoyé sur leur sort, si l'intervention des abbés de Saint-Médard n'avait enrayé les progrès de leur décadence.
Ils obtinrent ce résultat, en les encourageant de toutes façons, en présidant à leur réorganisation et, pour resserrer les liens qui unissaient jadis les compagnies, en les syndiquant en quelque sorte pour les placer sous leur autorité unique. Que celle-ci fût légitime ou non, il importe peu; les compagnies d'archers subsistèrent, dans une grande partie de la France, grâce à la vigueur nouvelle que leur donna la prise en main énergique et intelligente de leur direction par les abbés de Saint-Médard. Il suffit de jeter un coup d'œil sur l'histoire de chacune de nos compagnies d'arc les plus anciennes pour se convaincre de la réalité de ces faits.
A ce point de vue, il est bon de remarquer que, exception faite de la région du Nord qui doit à la proximité de la Belgique d'avoir conservé l'usage du jeu d'arc, cet exercice n'a su se maintenir que dans les provinces comprises dans les limites où pouvait encore se faire sentir utilement l'influence de la grande maîtrise de Soissons.
En effet, la plupart des compagnies actuellement existantes et possédant des documents antérieurs à 1789 ont des titres indiquant leur création, au XVIIe ou XVIIIe siècle, sous les auspices de l'Abbé ou du Prieur de Saint-Médard de Soissons; or, comme on trouve la preuve que dans bon nombre de localités où elles résident il y avait des compagnies d'arc bien avant le XVIe siècle, on peut en déduire que l'arc abandonné presque partout eut au bout de longues années un regain de popularité et l'on constate qu'il n'a su le conserver que dans les seules régions où l'intervention dont nous avons parlé a pu se manifester, c'est-à-dire en Picardie, dans l'Ile-de-France et en Champagne.
Dans toutes les autres provinces de France, les compagnies d'arc ont disparu[32].
Après avoir montré que les archers de nos Compagnies actuelles doivent une certaine reconnaissance aux abbés de Saint-Médard, il nous faut ajouter que les prétentions de ces derniers furent parfois juridiquement contestées dès le siècle dernier.
En 1738, le tribunal du Connétable et des Maréchaux de France annula une autorisation de créer une compagnie d'arc, accordée aux habitants de Vineuil, paroisse de Saint-Firmin près Chantilly, par un chanoine de l'église de Saint-Thomas de Crépy, chancelier et garde des sceaux de la confrérie de Saint-Sébastien, représentant l'abbé de Saint-Médard.
La sentence de la Maréchaussée de France déclarait « que cette autorisation était illusoire par défaut de pouvoir de celui qui l'avait rendue, qu'il y avait de la part de ce dernier empiètement du spirituel sur le temporel, car il n'appartenait qu'au roi d'exiger des compagnies d'officiers pouvant s'assembler légitimement en armes, que d'ailleurs dans le cas de contestation au sujet desdits exercices ces compagnies devaient se pourvoir en première instance devant les maires et échevins des villes de leur établissement et par appel devant le Connétable et les Maréchaux de France[33] ».
De la juridiction de ces derniers ressortissait, en effet, tout ce qui touchait de près ou de loin à l'organisation militaire[34]; et, bien qu'il fût peut-être excessif de classer comme telle une compagnie d'arc de village, les abbés de Saint-Médard durent s'incliner.
A part ce litige, nous n'en connaissons aucun concernant les compagnies d'arc qui ait été porté devant un tribunal aussi considérable. Il n'en est pas de même pour les compagnies d'arquebusiers, et à ce propos nous citerons comme exemple des différends qui pouvaient s'élever entre les éléments de ces sortes de corporations, le procès qui éclata en 1778 entre les chevaliers de l'arquebuse de Meaux et ceux de l'arquebuse de Corbeil au sujet d'un prix attribué à un habitant de Corbeil, reçu chevalier postérieurement à la date exigée par les règlements du tir.
Cette affaire appelée devant les Maréchaux de France eut assez d'importance pour que la Compagnie de Meaux confiât sa cause au célèbre avocat au parlement, Tronson du Coudray[35].