Les jours suivants étaient consacrés au tir, mais, entre temps, pour remplir le plus rigoureusement possible les traditions et les devoirs d'hospitalité, il était d'usage que le roi, accompagné du capitaine de la compagnie qui offrait le prix, se rendît au logis de chaque capitaine des compagnies invitées, pour lui rendre visite « et faisait le roy une petite excuse s'ils n'avaient été si bien accomodés qu'il le méritaient et leur faisait cadeau de quatre bouteilles de vin, de tartres et de gâteaux[37] ».
Enfin, la série des fêtes se clôturait par une distribution générale des prix qui, à différentes époques, se répartissaient en récompenses, aux meilleurs tireurs, aux compagnies les plus éloignées et parfois à celles qui avaient les plus riches costumes. En 1394, à un prix d'arbalète qui eut lieu à Tournai, les chevaliers de Bruges remportèrent le prix de magnificence et ceux de Paris, celui d'éloignement[38] .
Ces prix, capables d'attirer de si loin des concurrents, représentaient, comme on peut le penser, des valeurs énormes.
On devine, par contre, que de pareilles fêtes occasionnaient aux compagnies des dépenses considérables.
Aussi les sociétés d'arc, qui peu à peu avaient été supplantées par les compagnies d'arquebuse[39] et se trouvaient en France composées désormais de membres assez peu fortunés, avaient beaucoup de peine à faire face aux obligations que leur créaient des habitudes aussi luxueuses.
En vain les voit-on recourir aux finances de la ville à laquelle elles appartenaient, en adressant aux officiers municipaux d'humbles requêtes dans le genre de celle présentée en 1407 par les archers d'Amiens qui réclament un subside « pour aller jouer à Neille en Vermandois en raison que le dit jeu est honnête[40] ».
Bientôt, malgré la bonne volonté des corps de ville, beaucoup de compagnies d'arc durent renoncer à participer à ces fêtes et résolurent de continuer à cultiver leur exercice tout en vivant à l'écart. Cette détermination, en les sauvant de la ruine, prolongea l'existence de beaucoup d'entre elles.
Ce furent des considérations de cette nature qui, au moment de la renaissance du Jeu de l'Arc au XVIIe siècle, inspirèrent aux
rédacteurs des nouveaux statuts la pensée d'insérer un article interdisant aux Jeux des villes et bourgs d'aller aux Prix provinciaux des villages et établissant que, seuls les jeux des villes étaient appelés à concourir pour le Prix général du Royaume. Cette mesure avait l'avantage d'éviter aux modestes compagnies de campagnes l'occasion d'être entraînées dans des dépenses disproportionnées à leurs ressources.
Il était en outre recommandé aux Compagnies de « ne donner le Bouquet qu'aux villes » de leur généralité, et spécifié que la même ville ne pourrait l'avoir qu'après un certain intervalle d'années.
La compagnie à laquelle appartenait le vainqueur du prix recevait en dépôt un bouquet qui l'obligeait à organiser à son tour l'année suivante un concours où il lui était disputé par les autres compagnies : c'est ce qui se passe actuellement pour certains sports où plusieurs concurrents se disputent une coupe qui reste aux mains du vainqueur jusqu'à ce que, dans des concours suivants, elle lui soit enlevée par un plus adroit.
Mais si la compagnie qui détenait le bouquet renfermait des tireurs habiles, le bouquet risquait de rester plusieurs années de suite entre ses mains. Aussi, dès 1439, les compagnies de Brie, de Champagne, d'Ile-de-France et de Picardie avaient souscrit un concordat destiné à assurer un roulement entre leurs villes pour les concours de tir, afin que l'une d'elles n'eût pas, dans des délais trop rapprochés, à jouir des avantages ou à supporter les inconvénients qui les uns et les autres étaient la conséquence de ces sortes de fêtes.
Nous avons vainement tenté d'établir une nomenclature exacte des concours de tir à l'arc ayant eu lieu autrefois et nous avons dû y renoncer devant les difficultés insurmontables que présentait cette recherche[41]. La raison en est que presque toutes les archives des compagnies d'archers ont été détruites ou ont disparu pour des motifs quelconques, et que, dans les renseignements trouvés dans les nombreux ouvrages publiés sur les corporations, il règne sur ce point une certaine confusion, les auteurs n'ayant pas toujours pris soin d'indiquer que tel ou tel prix provincial était un prix d'archers plutôt que d'arbalétriers ou d'arquebusiers. A distance, ces trois sortes de compagnies ne présentent pas entre elles de différences sensibles et il semble que les historiens aient pu les confondre sans grand inconvénient.
Il n'en était pas de même lorsqu'elles vivaient côte à côte et il faudrait dépasser les limites que nous nous sommes tracées si nous étions tenus de raconter tous les conflits qui s'élevèrent entre elles, la plupart du temps pour des questions de préséance. Nous citerons seulement quelques faits caractéristiques.
Les archers de Mantes, qu'on nommait les Anciens Signés, après avoir tenté de vivre en commun avec les Arquebusiers durent se séparer d'eux à la suite d'une violente querelle que fit éclater la prétention des archers d'avoir le pas sur les autres.
A Château-Thierry une scène de pugilat eut lieu en l'église Saint-Crépin à l'occasion d'un Te Deum chanté en l'honneur du sacre de Louis XVI ; elle fut provoquée par la liberté que prirent les arquebusiers de se placer dans le chœur alors que les archers ou les « arquers-fléchiers », comme ils se désignaient, s'en étaient vu refuser l'entrée. Un scandale du même genre éclatait dans une église de Soissons vers la même époque et à Beauvais à deux reprises différentes, en 1657, à l'entrée de Mllo D'Orléans, et en 1726, on vit dans le chœur même de l'église Saint-Pierre les compagnies rivales en venir aux mains.
Pourtant il faut reconnaître que quelques compagnies d'archers, d'arbalétriers et d'arquebusiers d'un même lieu eurent parfois le bon esprit d'associer leur sort et de vivre en commun ; tel fut l'exemple donné par les trois compagnies de la ville de Besançon qui, en 1772, se réunirent définitivement en une seule compagnie dans laquelle les trois jeux continuèrent à être pratiqués[42].
Nous avons expliqué déjà que les compagnies d'arquebusiers formées par la bourgeoisie étaient plus riches que les compagnies d'archers; elles avaient toutes en général un pavillon spécial luxueusement construit qui servait à leurs réunions : on peut citer quelques compagnies d'archers telles que celles de Soissons, de Péronne, de Paris, de Fontainebleau qui furent également propriétaires de maisons de ce genre. En tout cas, presque toutes, même les sociétés de village, avaient une chapelle dans l'église de leur paroisse ou dans l'abbaye la plus proche.
Beaucoup de compagnies d'arc des villes de Belgique possèdent encore des maisons qui témoignent de leur existence luxueuse d'autrefois : on cite particulièrement celle de Bruges remplie de richesses de toute sorte, objets d'orfèvrerie ou tableaux de grand prix.