Enfin nous ajouterons que presque toutes les compagnies se singularisaient par un emblème spécial qui précédait la compagnie lorsqu'elle se rassemblait en troupe pour se rendre à un prix.
La marche de la Compagnie de Crépy-en-Valois était ouverte par un cochon porté dans une cage, celle de Braine par un corbeau, celle de la Ferté-Milon par un picmard, oiseau qu'on rencontrait dans la forêt de Retz.
Pour justifier son surnom, la Compagnie de Senlis se faisait précéder d'un homme portant une besace, celle de Compiègne d'un dormeur qu'on menait par la main, celle de Soissons d'un personnage baillant de temps à autre avec affectation, celle de Pont-Sainte-Maxence d'un homme portant une marmite et une cuillère à pot. La Compagnie de Neuilly-Saint-Front avait à sa tète un homme contrefaisant le fou et semant du sable. Beaucoup de sociétés belges avaient également, à leur service, un fou, chargé peut-être, comme ceux que l'on employait jadis dans les cours royales, d'égayer la compagnie par ses saillies ou de provoquer le rire des spectateurs par ses attitudes ou ses gestes burlesques.
Certaines Sociétés portaient sur leur drapeau la devise ou le dicton attribué à leur ville, tel que « Combien vaut l'orge? » de Lagny ou « Nul ne s'y frotte » de Château-Thierry.
Nous avons dû nous étendre assez longuement sur les anciennes coutumes des Compagnies car tous ces détails sont utiles à connaître pour expliquer à quelles traditions se rattachent la plupart des habitudes conservées de nos jours par les sociétés d'archers modernes.
Du jeu de l'arc en lui-même pratiqué par les anciennes compagnies, il y a peu à dire, car rien n'a changé en France quant au tir aux berceaux. La distance d'une butte à l'autre était fixée généralement à 28 toises, soit à 54m60 (la toise valait 1m95) et le tireur se plaçait à environ 25 toises de la butte sur laquelle il devait envoyer sa flèche.
Les cartes de prix actuelles sont analogues à celles qu'on employait jadis ; quant à l'adresse des joueurs nous n'avons aucun élément pour nous en rendre compte, mais il y a lieu de supposer que, plus exercés que les archers modernes, ils se montraient, sinon plus, du moins aussi habiles.
A ce sujet nous rapporterons l'anecdote suivante, sans d'ailleurs en déduire des conséquences que le fait ne comporte pas. En 1669, à Montivilliers, en Normandie, un « Turc de Ninive » qui faisait partie de la suite du duc de Saint-Aignan, gouverneur de la ville, s'étant vanté de pouvoir frapper d'une flèche un sou marqué, fut invité à venir aux Buttes : il décocha cinq ou six flèches « qu'il ne tira pas mieux qu'un autre » et ayant essayé de tirer l'oiseau il le manqua et s'en alla en mettant sa maladresse sur le compte des arcs français qu'il trouvait trop longs.
En 1678, au tir à l'oiseau dans la même Compagnie, le duc de Saint-Aignan invité à tirer le coup d'honneur se montra plus adroit et du premier coup abattit l'oiseau[58].
Indépendamment des gouverneurs de villes ou de provinces qui se faisaient un devoir de venir assister au tir du Papegay servant à déterminer le roi du jeu, les souverains et les princes ne laissaient pas échapper l'occasion, lorsqu'elle se présentait, d'encourager les archers par leur présence.
On vit Philippe le Bon, duc de Bourgogne, de Brabant et de Luxembourg, assister aux tirs à l'arc de Lille, de Bruges, de Dijon, de Beaune et de Chalon-sur-Saône.
Pendant la durée du Camp du Drap d'or, en 1520, Henri VIII d'Angleterre proposa à François Ier de prendre part aux exercices de tir des archers à cheval. Henri VIII qui était un tireur renommé se distingua particulièrement par sa vigueur et son adresse. Les Anglais eurent d'ailleurs l'avantage et étonnèrent toute la cour du roi de France par la longue portée à laquelle ils pouvaient envoyer leurs flèches.
A Montpellier, pendant un séjour qu'il fit dans cette ville, le roi Louis XIV vint tirer à l'oiseau avec les archers et se déclara le Chef du noble jeu de l'arc[59].
Enfin les dames venaient quelquefois se mêler aux jeux des Archers. D'après Janvier[60], on en voyait figurer un grand nombre sur les rôles de la Compagnie de Soissons, et la comtesse d'Egmont, en 1768, aurait fait un beau coup de broche[61] dans un tir de cette ville.
Bien que l'auteur n'ait pas pris soin de nous le dire, il est probable que les dames de la Compagnie en question n'en faisaient partie qu'à titre de membres honoraires, car la personnalité de Mlle Genotte de Gruyère, chevalière de l'arquebuse de Mézières. qui, accompagnée de son père, suivait les arquebusiers dans tous leurs déplacements et prenait part au tir des Prix Généraux, semble avoir été une exception célèbre.