Ces associations armées sont, dans le nord de la France principalement, l'instrument de la révolution plébéienne contre la féodalité: elles s'attirent les sympathies des abbayes et des monastères, qui, dans certains pays, n'ont pas de pires ennemis que les seigneurs de leur voisinage, et ces premiers protecteurs qu'elles rencontrent, ne manquent pas en les encourageant de leurs conseils et de leurs deniers, de leur imprimer un caractère religieux qu'elles conserveront plus ou moins pendant des siècles : la royauté, à son tour, comprenant le parti qu'elle peut tirer de ces institutions, leur reconnaît les privilèges qu'elles se sont elles-mêmes arrogés, les comble de faveurs et, en échange, fait appel à leur dévouement pour continuer à combattre la puissance féodale et aussi pour défendre le territoire lorsque l'occasion s'en présente[11].
Ce pacte, qui les lie au souverain et engage la reconnaissance de ce dernier, sera souvent invoqué par elles jusqu'en 1789 — bien qu'elles ne soient plus alors que de simples sociétés d'amusement— toutes les fois que des protestations s'élèveront contre les privilèges dont elles jouissent encore et que des mesures seront prises pour les en dépouiller. De fait, le rôle qu'elles avaient rempli jadis, en affermissant le pouvoir royal et en sauvegardant les libertés communales, justifiait leur prétention d'avoir contribué, dans une large part, à la formation de la nationalité française et, à ce titre, elles pouvaient en concevoir un légitime orgueil.
Cependant, des circonstances analogues à celles qui les avaient fait surgir spontanément ne se présentant plus, il arriva que ces corporations eurent, par la suite, dans plusieurs provinces, des tendances à se modifier ou à se dissoudre. Pour les maintenir, les rois trop intéressés à ce que leurs « sujets ne cessassent point de s'habiliter au fait des armes », durent, à maintes reprises, employer leur autorité, et, au besoin, ordonner la création de compagnies nouvelles là où il n'y en avait plus.
On ne trouve aucuns documents de cette nature avant le XIIIe siècle; mais, à vrai dire, ceux que l'on rencontre à cette époque ne sont pour la plupart que des confirmations d'ordonnances ou de règlements antérieurs.
On remarque, en outre, qu'ils dénotent tous de la part du souverain qui les a signés une intention de moraliser le peuple tout en l'obligeant à se livrer à l'exercice de l'arc qui, parmi tous les autres, reste le seul « noble jeu ».
En 1260, saint Louis publie une ordonnance par laquelle on est requis « de prendre l'exercice du noble jeu de l'arc plutôt que de fréquenter d'autres jeux dissolus et deshonnêtes », et lui-même se fait enregistrer sur les rôles d'une compagnie d'archers de la ville de Paris[12].
Charles le Bel en 1329 proscrit les jeux inutiles et « qui ne dressent point aux armes ».
Charles V en 1369[13] « défend tous jeux de dez, de tables (jeu de dames), de palme (paume), de quilles, de palet, de soule (choule[14]), de billes et de tous autres qui ne chéent point (qui ne contribuent pas) à exercer ni habiliter nos dits sujets à fait et usages d'armes » et il ordonne « que les dits sujets prennent et s'entendent à prendre leurs jeux et ébatements à eux exercer et habiliter en fait de traits d'arcs et d'arbalètes en beaux lieux et places convenables à ce, dans les villes et terroirs du royaume et fassent leurs dons (prix) au milieu tréant (au meilleur tireur) et leurs fêtes et joies pour ce comme bon leur semblera.... » Le roi ordonnait en outre aux Sénéchaux, Baillis, Prévôts et autres Officiers du Royaume « de mettre à exécution la dite ordonnance de point en point » et il ajoutait selon la formule habituelle « sur peine d'encourir notre indignation ».
Cette ordonnance resta en vigueur sous les successeurs de Charles V et les habitants des différentes villes ou villages ne purent pendant longtemps se livrer à d'autres jeux que ceux du trait sans une permission royale telle que celle qu'accorda exceptionnellement Charles VI, en 1390, aux habitants de Saint-Quentin qui furent autorisés « à jouer pendant la foire Saint-Denis sans être inquiétés par les officiers royaux à autre jeu et ébatement que de l'arc ou arbalète.[15] »